Revivez les cousinades de La Bascule d’automne 2023. Une édition… Pas comme les autres ! Aux airs postapocalyptiques, aux parfums de récession énergétique, et toujours aux sons de la convivialité et l’entraide, comme sait si bien le faire La Bascule ! Etienne nous raconte son expérience, sous la plume de Bérénice.
Automne 2023 : Une fois de plus, la famille de La Bascule se retrouve pour les cousinades biannuelles. Cette fois, c’est à Bascule Argoat, en Bretagne, que bénévoles et activistes se rendent. Au programme : développer le lien, co-définir les nouvelles valeurs de l’archipel et aider le lieu d’accueil. 25 personnes. 5 jours. Une expérience mémorable.
Oui, car on se rend peu à peu compte que ces Cousinades ne ressembleront à aucune autre…
Une tempête, vraiment ?
Lundi 30 octobre 2023. TV et radios commencent à parler d’une grosse tempête, prévue en Bretagne pour le week-end. À ce stade, pas d’affolement : on maintient l’événement. Mais, plus la date approche, plus la tempête prévoit d’être massive… Les basculeur.euses se rassurent, en se disant que ça soufflera moins en Centre Bretagne que sur les côtes. On maintient les retrouvailles.
Mercredi 1er nov., après-midi. Tout le monde prend la route pour se rendre à Bascule Argoat. Une petite équipe est déjà sur place, à terminer les derniers préparatifs. Des SMS du gouvernement arrivent : « rechargez les téléphones, faites des réserves d’eau, on prévoit des coupures ». Ah oui, vraiment ? « Conduisez prudemment. Ne prenez pas la route en fin de journée ». Ça commence à être inquiétant…
Mercredi soir. Malgré tout, plus de peur que de mal : tout le monde arrive sans encombre, juste avant la tempête. Accolades, retrouvailles, rencontres. Dans le salon se réunissent maintenant des habitant.e.s de Bascule Argoat, des membres de la Caserne Bascule, quelques bénévoles du voilier, une poignée d’ancien.nes, une personne de Fert’îles. Entre autres : beaucoup de personne dont ce sont les premières cousinades, et les premiers pas sur l’île d’Argoat ! Alors, chacun.e prend le temps de découvrir ce lieu magnifique, au cœur de la campagne bretonne.
Le calme avant la tempête.
Par prudence, on rentre le mobilier d’extérieur… Avant de partir se coucher, bercés par un vent qui souffle de plus en plus fort.
Minuit et demi. Il ne reste plus que quelques personnes réveillées, bravant le sommeil, un livre à la main. Quand tout à coup… La lumière clignote… Et paf ! Ça s’éteint.
L’électricité a sauté. La tempête Ciaran est belle et bien lancée.
Réveil dans une ambiance postapocalyptique
La nuit, ça souffle à grand bruit. Les plus apeuré.e.s se retournent dans leur lit. Celleux au sommeil profond dorment sans se douter de rien.
Jeudi matin. Réveil sous un décor… Pour le moins spécial ! Un regard par la fenêtre : des arbres tombés au loin, des branches au sol, des chauffe-eau arrachés, une vitre cassée… Une oreille par la porte : le bruit des tronçonneuses, de tous les côtés, pour dégager routes et jardins (l’avantage de la campagne : tous les foyers sont équipés d’une tronçonneuse). Un pouce sur le smartphone : plus de wifi, plus d’électricité, plus de réseau téléphonique, et pas de 4G bien sûr, car Bascule Argoat est dans une zone blanche.
Bon. Ça sent le pilotage dynamique, comme on dit chez Fert’îles !
Jeudi, 9 h. On se retrouve comme prévu dans la grande salle, pour un temps de travail sur les valeurs de l’archipel. On se regarde un peu dans le blanc des yeux. Incrédules. Avec toute cette ambiance de tempête autour… Il y a comme un décalage. Une voix raisonne dans la pièce.
« Est-ce qu’on va vraiment continuer le business as usual ? Alors que y a plus d’électricité dans le coin, des arbres tombés partout, surement des voisin.e.s qui ont besoin d’aide… » Il a dit tout haut ce qu’on pensait tout bas.
Culture Bascule oblige : on ouvre un temps de partage, d’écoute du centre. Sur ces 3 petits mots : on fait quoi ?
On fait d’la place pour la solidarité et l’entraide
Du jeu, du nous, pour dépasser la galère !
Le groupe décide finalement de repousser le temps de travail, et de partir aider le voisinage. On déniche quelques outils, on empoigne notre motivation, on fait le stock d’huile de coude… Et, par chance, Yvain a même ramené des talkie-walkie !
Aller, on se met dans l’ambiance : jeu grandeur nature ! Noms de code, haches à la main, bottes au pied. Nous voilà parti.e.s ! 4 groupes, que dis-je, 4 escouades partent, à pied ou à vélo, sillonner la campagne en quête de missions chevaleresques. Le décor est immersif, plus vrai que vrai : pas de réseau, des arbres couchés tous les 5 ou 10 mètres, des branches cassées sur les câbles et des troncs sur les maisons… Une scène post-apocalyptique.
« Je redevenais un enfant dans une aventure. Parce qu’on était ensemble ! »
On se remonte les manches, et nous voilà en train de tirer des arbres, de couper des branches comme on peut… Et, le plus important : donner du courage, être avec les gens, rassurer, mettre du baume au cœur et tenir compagnie. On sillonne le voisinage, non pas parce qu’on a de meilleurs outils, de meilleures connaissances (au contraire !), mais pour se rappeler ça : on est ensemble dans cette galère. Et parfois, on prend quelques minutes de centrage, juste pour observer cette entraide se tisser, cette solidarité se dessiner sous nos yeux et nos mains. C’est beau ! C’est porteur d’espérance.
Réapprendre à travailler sans numérique
Jeudi, 11 h. Les basculeur.reuses se retrouvent à la maison, pour le temps de travail initialement prévu… Enfin, presque !
- Premier problème : 1 équipe sur 4 n’est pas encore rentrée. Sans téléphone, sans réseau, on ne peut pas les joindre.
- Deuxième problème : le déroulé de la réunion, les documents utiles, les résultats du sondage, tout (ou presque) était en ligne ! Comment s’adapter, sans électricité, sans internet, donc sans ordinateurs ? On fait travailler la mémoire, on sort grandes feuilles et petits post-it, et on réinvente ensemble la réunion.
Jeudi, 12 h. Le 4e groupe perdu finit par revenir. Ses membres avaient été retenus par un temps de convivialité et papotage, après leur coup de main. Des voisin.e.s qui ne s’étaient jamais rencontré.e.s, et que la tempête a fini par rapprocher.
L’heure du déjeuner arrive. Heureusement, les bonbonnes de gaz sont pleines, les stocks de la cuisine aussi. Bref : on mange chaud, et on savoure notre chance !
Réinventer nos soirées sans électricité
Jeudi, 17 h 30. Après une balade bucolique dans les environs, le jour commence déjà à décliner (oui, on est en novembre après tout !). Petit à petit, sans un mot ou presque, les basculeur.reuses se regroupent dans le salon. Chacun, chacune avec un livre, éclairé à la bougie ou à la lampe frontale. Dans ce salon tout petit, se rassemble bientôt une quinzaine de personnes, occupant chaque recoin de la pièce où on peut s’assoir. On est 25 dans la maison. Sans électricité, sans réseau, sans internet. Alors, on est là, ensemble, simplement. On lit, éclairés à la bougie, sans un bruit.
En parallèle, un petit groupe cuisine… En musique ! Oui oui, car on a la chance d’avoir Gaëtan et ses enceintes solaires.
Jeudi, 20 h. Nous voilà projetés dans un autre temps (une fois n’est pas coutume, et pourtant, ce week-end on commence à avoir l’habitude !). On s’offre un diner à la bougie, comme on n’en avait pas fait depuis trop longtemps. Mais, pendant encore combien de temps ?
Vivre au rythme du jour et de la récession énergétique
Vendredi matin. On se lève, sourire aux lèvres, et pourtant une question reste en suspens. Combien de temps ça va durer ? Quand l’électricité va-t-elle revenir ? Le réseau ? On sort les téléphones (ceux qui ont la chance d’avoir encore un peu de batterie) : toujours rien. Toujours aucune barre. Coupés du monde, on n’a aucune infos ! Quelques personnes partent à la mairie pour se renseigner, tandis que d’autres allument une bonne vieille radio. Alors, les infos arrivent au compte-goutte.
- Les routes commencent à se débloquer, mais les villages alentour n’ont toujours ni électricité ni réseau.
- Plus de 260 000 foyers bretons sont encore coupés d’électricité…
On comprend que notre petit coin de campagne, peu dense en habitation, est loin d’être la priorité. Ça pourrait durer tout le week-end, alors, on adapte nos habitudes !
On se rend compte de notre dépendance à la lumière du jour. Un rythme imposé par le soleil, qu’on avait oublié par la simplicité d’appuyer sur un interrupteur. Mais, coupés de ces volts salvateurs, on s’organise pour faire ce qui doit l’être en pleine journée.
- Un temps de travail pour l’archipel, toujours avec un max d’impro et un minimum de numérique,
- du travail au jardin,
- des prises de vidéos pour le financement participatif de la Bascule Argoat.
Vendredi, 18 h. À la tombée de la nuit, une toute nouvelle ambiance s’installe dans la maison. Parce qu’on a avec nous Gaëtan, le super DJ des estatic danse ! Les panneaux solaires sur le toit de son camping-car ont rechargé toute la journée l’enceinte et les platines. Alors, nous voilà à danser, éclairés à la bougie et par quelques lumières sur batteries, sur le son de la musique solaire. Coupé.e.s du monde, sans réseau, mais bel et bien dans la fête et la joie. Une ambiance indescriptible…
« À ce moment-là, j’ai l’impression d’être dans un film, de vivre un moment unique. On vient de subir une intempérie hyper forte, on perd beaucoup de confort, et en même temps, on a toujours les liens humains. On a toujours ce confort-là. On n’est pas du tout seul, et donc ça rend la situation super facile à gérer. En fait, à ce moment, je réalise qu’on est vraiment privilégié.e.s : on a nos réserves de bouffe, notre toit, quelques légumes dans le jardin, et surtout on est ensemble… Bref, à ce moment-là, on s’en fiche presque de ne pas avoir d’élec. On sait une chose : c’est une expérience à vivre à fond. Une expérience hors du temps… Profitons-en. »
Après le diner, on projette (avec un ordinateur dont on a soigneusement épargné la batterie) le film Activist, suivi d’un débat.
« On commence à parler d’effondrement, alors qu’on est là, éclairés à la bougie. En fait, on vit un moment plus ou moins normal… Mais dans ce contexte de tempête, ça prend une tout autre couleur. »
Une expérience dont on se rappellera !
Samedi matin. Dernier temps de travail pour notre troupe en pleine expérience de récession énergétique. L’objectif du week-end est d’aboutir à une nouvelle charte des valeurs ! C’est une base importante de la coopération, alors tout le monde prend le sujet très au sérieux. Finalement, on arrive à identifier 7 valeurs (sans s’arrêter sur des mots précis à ce stade). Célébration !
Samedi après-midi. On part en expédition, visiter le village du Bel Air ! C’est un écovillage tout à côté de Bascule Argoat. Pour eux, pas trop de problèmes d’électricités : les habitats légers sont globalement autonomes. Comme dans le reste du territoire d’ailleurs : on réalise que beaucoup de foyers ont des panneaux solaires, du chauffage au bois… Et sont très peu impactés par la situation. Et nous ? Ben… On se rend compte qu’on est loin d’être prêt.e.s !
Samedi soir. On prend un temps de déclusion pour clore ces cousinades. Les partages, bien sûr, sont teintés de cette tempête qui a transformé nos retrouvailles. Chacun.e le dit à sa façon, le fond reste le même : l’aventure qu’on est en train de vivre, depuis quelques jours, c’est pas rien.
« Pour chacune, chacun ici, ça sera un événement dont on va se rappeler. »
Déjà 3 jours sans électricité (ou presque, merci les panneaux solaires !). 3e dîner à la bougie. Et toujours (et même, plus que jamais) : la joie, la fête, la convivialité ! On sort les instruments, une ou deux bougies, et on commence la soirée en impro. On célèbre tout le travail réalisé en 3 jours, on célèbre d’être ensemble. Et puis, une fois de plus, on sort enceintes et lumières chargées aux panneaux solaires, pour mettre de la musique jusqu’au bout de la nuit !
Dimanche matin. Nous voilà sur le départ. L’électricité et le réseau ne sont toujours pas rétablis, mais on va bientôt retrouver le monde extérieur !
On profite du trajet pour laisser décanter ces 3 jours hors du commun. Pour en ressortir des apprentissages, des souvenirs marquants. En voilà deux échantillons…
1. Vivre ensemble pour dépasser les difficultés. Cinq jours sans électricité, c’était impensable pour beaucoup d’entre nous. Et pourtant… Pas impossible ! On l’a passé les doigts dans le nez. C’était même une partie de plaisir, un kiff, une fois dépassées les difficultés des temps de travail ! Avec la conscience qu’on était privilégié sur de nombreux points : cuisine pleine, bonbonne de gaz aussi, une situation seulement temporaire… Et privilégié.e.s d’être ensemble.
« Ça me confirme combien faire partie d’un réseau, d’un collectif, c’est un bon choix ! Pour faire face à des moments comme celui-ci, pour savoir qu’on n’est pas seul, qu’on est entouré. Tant que j’ai le lien humain et de la joie… Pour moi, ça change tout. »
2. La solidarité existe toujours. Et contrairement à ce qu’on raconte, ce genre de catastrophe peut faire ressortir davantage d’entraide que d’individualisme. En tout cas, c’est ce qu’on cultive à la Bascule ! Régulièrement, on allait voir les voisin.e.s, voir si ça allait bien, aider comme on pouvait, et toujours mettre du baume au cœur.
À bientôt pour la suite de La Bascule !