Ça y est c’est le printemps. Finies les giboulées, le soleil nous refait sortir la table pour déjeuner dehors. Il y a quelques temps, on nous a proposé de cultiver une parcelle temporairement inoccupée à la ferme. Alors on se lance à deux, inexpérimentées et déjà bien occupées, pour mettre les mains dans ce millier de mètres carré. A coup de récup et d’achats d’occasion, on s’initie aux semis, aux buttes et à la cohabitation avec les limaces. On patiente, ou plutôt on se ronge les ongles, en attendant chaque levée. Les graines germent et pointent le bout de leur nez hors de la terre, un peu comme l’Îlot Vivant en ce moment. On ne s’est pas concerté avec les saisons, mais le printemps commence pour nous aussi, avec des sorties hors de notre cocon et avec des ouvertures plus larges vers l’extérieur de la ferme. La métaphore du printemps à l’Îlot était donc toute trouvée. On tisse des liens de plus en plus forts avec quelques associations locales qui se transforment en partenariats et projets communs. On aménage une salle d’accueil à la ferme, ambition tiers-lieu rural, pour rencontrer et faire se rencontrer savoirs, savoirs-faire et opinions, ambition résilience par la mise en réseau et l’intelligence collective. On rénove et construit un hangar pour y mettre au chaud un atelier low-tech et lui donner l’espace de recevoir les gens du coin. Bref, j’ai l’impression qu’on ouvre une nouvelle page de l’asso, une forme d’éclosion somme toute ?
Quand bien même j’apprécie la métaphore du printemps, elle me chiffonne. Et si j’en creuse la cause, je crois que sa banalité ou manque d’originalité me vexe. Je préfère ne pas compter le nombre de personnes qui comme moi parlent renaissance, ouverture et semis au printemps depuis quelques jours et pour encore un petit moment. On a beau faire des choses nouvelles ici, elles ne le sont que pour nous et quelques autres personnes. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne réinvente pas l’eau chaude. On aimerait bien, penser et faire surtout de l’inédit, de l’original, que dis-je du révolutionnaire ! En toute transparence donc, notre jardin nourricier, nos amitiés inter-collectifs, nos chantiers, et cætera, ces choses sont faites et ont été faites par beaucoup d’autres. Rien d’extraordinaire à l’échelle de l’Histoire. De ce fait, je me demande comment vous témoigner de cette émulation chez nous, concomitante avec le printemps sans sonner niaiseuse ou poétiquement maladroite ? J’alterne entre deux expressions faciales un peu contradictoires : le sourire, de voir se réaliser des choses nouvelles à l’Îlot, et la mou, de constater que ce n’est pas si nouveau aux yeux du monde ce qu’on est en train de faire.
J’ai beau avoir conscience que l’Îlot cherche à faire un pas de côté, que ces membres n’ont pas une vie qui ressemblent à celle de la majorité, que nous sommes une minorité, ainsi, nous ne sommes pas, de fait, seul.es dans cette dynamique. Et tant mieux. Alors pourquoi cela me chiffonne-il de ne pas vous partager une invention incroyable ou des activités encore jamais vues qui vous laisseraient bouche bée, au lieu de la réalité, palpitante certes mais peut-être pas autant d’un point de vue extérieur ? La faute, il me semble, à ce monde, à la quête de l’innovation et au toujours plus de progrès, qui nous ont conduit à ne plus nous émerveiller de l’existant et à ne pas valoriser ce qui a fait ses preuves. Puisque nous ne cherchons ni la gloire, ni la renommée, et encore moins la reconnaissance de l’ancien monde tout focalisé sur des téléphones plus performants ou des satellites plus lointains, pourquoi se laisser chiffonner par le fait de reproduire des activités, car elles font encore sens et qu’elles en font encore plus si elles sont multipliées et si elles confirment et insufflent des projets grands et pertinents pour la bonne vie et la survie des vivant.es. Vive les jardins, les chantiers, les ateliers ! Vive les amitiés associatives, la transmission des savoirs, le maillage !
Notre force n’est pas, ni ne sera de proposer du neuf, tout sorti d’un emballage plastique, mais de se réapproprier des techniques oubliées pourtant efficaces, d’améliorer l’existant en passe de devenir obsolète, de composer avec ce que ce monde nous laisse sur les bras de matériaux et de valeurs. Notre puissance est et sera de discuter et partager avec celleux qui font comme nous, et les autres aussi, d’essaimer pour être nombreux.ses et faire dériver trajectoires et territoires. Enfin, surtout, continuons d’avoir des étoiles plein les yeux en commençant pour la première fois un jardin, en se lançant dans des travaux, en ouvrant un nouveau lieu pour penser et acter des projets, en faisant des réunions entre associations, j’en passe et des meilleurs. Voici notre manière de proposer un monde différent, en faisant des choses que d’autres aussi font, mais dans le fond, on le fait ensemble, littéralement, ou au moins politiquement.
Je renoue donc avec l’entrain qui s’emparait de moi en commençant l’écriture de ce texte : l’Îlot Vivant poursuit ses aventures et en amorce des nouvelles. Qu’importe la métaphore usée et ma tentative de réécriture, le printemps, c’est chouette !
No’ pour l’Îlot Vivant